Sublime Pitchoux / Sorrn

  

Hörspiel en travail, oct. 2021


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Goethe

An Charlotte von Stein

Münster den 3. Okt. [1779] Sonntag Abends.

Ich eile nur von der lezten Station einige Worte aufzuzeichnen.

Von wo wir zu Mittag gegessen hatten, kamen wir bald in den engen Pass der hierher führt.

Durch den Ruken einer hohen und breiten Gebirgkette hat die Birsch ein mässiger Fluss sich einen Weeg von uralters gesucht. Das Bedürfniss mag nachher durch diese Schlüchter ängstlich nachgeklettert seyn. Die Römer erweiterten schon den Weeg und nun ist er sehr bequem durchgeführt. Das über Felsstücke rauschende Wasser und der Weeg gehen neben einander weg und machen an den meisten Orten die ganze Breite des Passes der auf beiden Seiten von Felsen beschlossen ist, die ein gemächlich aufgehobenes Auge fassen kann. Hinterwärts heben Gebirge sanft ihre Rüken, deren Gipfel uns von Nebel bedekt waren.

Bald steigen an einander hängende Wände senkrecht auf, bald streichen gewaltige Lagen schief nach dem Fluss und dem Weeg ein, breite Massen sind auf einander gesezt und gleich darneben stehen scharfe Klippen abgesezt. Grosse Klüfte spalten sich aufwärts und Platten von Mauerstärke haben sich von dem übrigen Gesteine losgetrennt. Einzelne Felsstüke sind herunter gestürzt, andere hängen noch über und lassen nach ihrer Lage fürchten dass sie dereinst gleichfalls heim kommen werden. Bald rund, bald spiz, bald bewachsen, bald nakt sind die Firsten der Felsen, wo oft noch oben drüber ein einzelner Kopf kahl und kühn herübersieht, und an Wänden und in der Tiefe schmiegen sich ausgewitterte Klüfte hinein.

Mir machte der Zug durch diese Enge eine grosse ruhige Empfindung. Das Erhabene giebt der Seele die schöne Ruhe, sie wird ganz dadurch ausgefüllt, fühlt sich so gros als sie seyn kann und giebt ein reines Gefühl, wenn es bis gegen den Rand steigt ohne überzulaufen. Mein Aug und meine Seele konnten die Gegenstände fassen, und da ich rein war, diese Empfindung nirgends falsch wiedersties, so würkten sie was sie sollten. Wenn man solch ein Gefühl mit dem vergleicht, wenn wir uns mühseelig im Kleinen umtreiben alle Mühe uns geben ihm so viel als möglich zu borgen und aufzufliken und unserm Geist durch seine eigne Kreatur eine Freude und Futter zu geben, so sieht man erst wie ein armseelig behelf es ist. Ein iunger Mann den wir von Basel mitnahmen sagte es sei ihm lange nicht wie das erste mal und gab der Neuheit die Ehre. Ich möchte aber sagen wenn wir einen solchen Gegenstand zum erstenmal erbliken so weitet sich die ungewohnte Seele erst aus und es macht dies ein schmerzlich Vergnügen eine Ueberfülle die die Seele bewegt und uns wollüstige Thränen ablokt, durch diese Operation wird die Seele in sich grösser ohne es zu wissen und ist iener ersten Empfindung nicht mehr fähig, der Mensch glaubt verlohren zu haben, er hat aber gewonnen, was er an Wollust verliert gewinnt er an innrem Wachsthum; Hätte mich nur das Schicksaal in irgend eine grosse Gegend heissen wohnen, ich wollte mit iedem Morgen Nahrung der Grosheit aus ihr saugen, wie aus meinem lieblichen Thal Geduld und Stille.

Am Ende der Schlucht stiege ich ab und kehrte einen Theil alleine zurük. Ich entwikelte noch ein tiefes Gefühl was das Vergnügen auf einen hohen Grad für aufmerksame Augen vermehrt. Man ahndet im Dunkeln die Entstehung und das Leben dieser seltsamen Gestalten. Es mag geschehen seyn wie und wann es wolle, so haben sich diese Massen nach der Schweere und Aehnlichkeit ihrer Theile gros und einfach zusammengesezt. Was für Revolutionen sie nachhero bewegt, getrennt, gespalten haben, so sind auch diese auch nur einzelne Erschütterungen gewesen und selbst der Gedanke einer so ungeheuren Bewegung giebt ein hohes Gefühl von ewiger Festigkeit. Die Zeit hat auch gebunden an die ewige Geseze, bald mehr bald weniger auf sie gewirkt.

Sie scheinen innerlich von gelblicher Farbe zu seyn, allein das Wetter und die Luft verändern die Oberfläche in graublau, dass nur hier und da in Streifen und in frischen Spalten die erste Farbe sichtbar ist. Langsam verwittert der Stein selbst und rundet sich an den Eken ab, weichere Fleken werden weggezehrt, und so giebts gar zierlich ausgeschweifte Hölen und Löcher, die wenn sie mit scharffen Kannten und Spizzen zusammentreffen sich seltsam zeichnen.

Die Vegetation behauptet ihr Recht auf iedem Vorsprung, Fläche und Spalt fassen Fichten Wurzel, Moos und verwandte Kräuter säumen die Felsen. Man fühlt tief, hier ist nichts willkührliches, alles langsam bewegendes ewiges Gesez und nur Menschenhand ist der bequeme Weeg über den man durch diese seltsame Gegenden durchschleicht
 

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Traduction

Moutier, 3 octobre 1779, samedi soir.

Vous recevrez de Bâle un paquet qui renferme le récit de notre voyage jusqu'ici. Nous allons poursuivre tout de bon notre course à travers la Suisse. Pour nous rendre à Bienne, nous avons remonté la belle vallée de la Birse, et nous sommes enfin arrivés à l'étroit défilé qui conduit ici.

La Birse, rivière peu considérable, se fraya jadis un passage à travers une haute et large chaîne de montagnes. Ensuite l'homme, poussé par le besoin, rampa sans doute péniblement le long de ses gorges profondes ; les Romains élargirent la route, et maintenant elle est très-commodément tracée. Le chemin et la rivière , qui gronde à travers les rochers, se côtoient, et occupent le plus souvent toute la largeur du passage, fermé de part et d'autre par des rochers que l'œil mesure sans peine. Par derrière s'élèvent en pente douce des montagnes dont les sommets étaient voilés pour nous de nuages.

Ici s'élèvent sans interruption des parois verticales ; là des couches puissantes s'avancent obliquement vers la rivière et le chemin ; de larges masses sont assises les unes sur les autres, et, tout auprès, se dressent isolément des roches abruptes; de grandes crevasses s'ouvrent du bas en haut, et de larges plateaux se sont séparés du reste de la masse ; des blocs détachés ont roulé au bas de la montagne; d'autres sont encore suspendus, et font craindre par leur situation qu'ils ne tombent un jour également.

1. En allemand Munster, dans le Jura bernois.


Les crêtes des rochers sont tour à tour arrondies, aiguës, dégarnies, boisées; souvent une tête chauve, isolée, regarde encore fièrement par-dessus; le long des pentes et dans les profondeurs, s'ouvrent des crevasses de roches délitées.

Le passage à travers ce défilé m'a fait une grande et paisible impression. Le sublime procure à l'âme un calme heureux; die en est parfaitement remplie; elle se sent aussi grande qu'elle peut l'être. Qu'un sentiment si pur a de charmes, lorsqu'il s'élève jusqu'au bord, sans se répandre par-dessus ! Mon œil et mon esprit pouvaient saisir les objets, et, comme j'étais pur, cette impression n'était nulle part contrariée, et les objets produisaient l'effet qu'ils devaient produire. Si l'on compare un pareil sentiment avec celui qui nous anime lorsqu'un petit objet nous occupe laborieusement, que nous mettons tout en œuvre pour lui prêter, lui ajouter tout ce que nous pouvons, et que nous préparons à notre esprit, dans sa propre création, une jouissance et un aliment, alors on peut voir combien c'est là une misérable ressource.

Un jeune homme, qui s'était joint à nous depuis Bâle, disait qu'il n'était pas à beaucoup près aussi frappé que la première fois, et il en faisait honneur à la nouveauté. Pour moi, voici ce que je dirais : Quand nous contemplons un pareil spectacle pour la première fois, à cette vue inaccoutumée, l'esprit se dilate au premier moment, et cela lui cause un douloureux plaisir, un transport qui l'ébranlé, et qui nous arrache de délicieuses larmes. Ainsi l'âme s'agrandit sans le savoir, et, cette première impression, elle n'en est plus capable. L'homme croit avoir perdu, mais il a gagné. Ce qu'il perd en plaisir, il le gagne en développement intérieur. Si la destinée m'avait appelé lt vivre dans une grande contrée, j'aurais voulu chaque jour me nourrir par elle de grandeur, comme je me nourris dans une gracieuse vallée de patience et de paix.

Parvenu à l'extrémité de la gorge, je mis pied à terre, et je retournai seul en arrière à quelque distance. Je démêlai encore chez moi un sentiment profond, qui augmente considérablement le plaisir pour l'esprit attentif. On se représente confusément la naissance et la vie de ces formes étranges. De quelque manière et en quelque temps que cela soit arrivé, ces


masses ont formé leurs simples et grandes combinaisons selon la pesanteur et la convenance de leurs parties. Quelques révolutions qui les aient plus tard agitées, désunies, déchirées, ce ne furent néanmoins que des ébranlements isolés, et la pensée même d'un si formidable mouvement donne un profond sentiment d'éternelle solidité. Le temps, associé aux lois éternelles, a lui-même agi sur ces masses, tantôt plus, tantôt moins.

Elles paraissent être il l'intérieur de couleur jaunâtre : mais l'action de l'air et de la température change la surface en bleu grisâtre; c'est seulement çà et là, dans les déchirures et les crevasses récentes, que la première couleur est visible. La roche elle-même s'oblitère peu à peu et s'arrondit aux angles ; les parties les plus molles sont rongées ; ainsi se forment des grottes et des cavités évidées avec une remarquable élégance, et qui, lorsqu'elles se rencontrent avec des arêtes et des pointes aiguës, produisent un effet pittoresque. La végétation maintient ses droits; dans chaque saillie, plateau et crevasse, pénètrent les racines des pins ; la mousse et les herbes bordent les rochers. On sent profondément qu'il n'est rien là d'arbitraire; qu'une loi éternelle, qui imprime à tout une marche lente, y développe son action, et que la main de l'homme se montre uniquement dans la route commode par laquelle on se glisse à travers ces étranges contrées.

 

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Rodolphe Hentzy, Promenade pittoresque dans l'évêché de Bâle aux bords de la Birs, de la Sorne, et de la Suze [...], A La Haye : chez G. Bakhuysen, 1808


Lettre treizième


[...] Vis-à-vis de nous est un petit étang, entouré de sapins et de hêtres. On voit devant soi les deux vastes greniers, avec les bâtiments et les doubles clochers de l’Abbaye, située au pied de la sombre montagne du Mouron ou Sauberg. En contemplant cette solitude encore fort agreste, autrefois couverte de sombres forêts, on conçoit qu'elle a pu servir de retraite à des sangliers aussi farouches que celui d'Erimanthe, avant d'être la demeure de Chanoines aussi réguliers que ceux de St.-Hubert.

La sécurité imprudente avec laquelle nous parcourions une contrée limitrophe de la France, dans un temps de trouble et de combustion (1789), aurait pu nous coûter cher. Pendant que mon peintre appuyé contre un bloc de rochers, au bord du grand chemin, s'occupait tranquillement à faire son esquisse, j’étais assis sur un tronc d'arbre voisin, griffonnant quelques remarques sur le local. Ce moment était aussi celui du passage d’un détachement de milices Bernoises escortant des chariots chargés de fusils envoyés à Montbéliard à la réquisition du Prince, qui voulait armer ses sujets pour les précautionner contre l'insurrection naissante.

Les paysans, trouvant apparemment nos figures et nos occupations suspectes, se mirent en posture d’exercer sur nous un jugement militaire et de nous faire passer par les armes, se disant mélodieusement dans leur idiome guttural : « Es sind Spionen ! Wir müssen die Ketzer auf 'n Kopf schiessen ! » (Ce sont des espions ! Brûlons la cervelles à ces coquins !)

A l’ouïe de ces deux propos, un frisson me saisit et, quant à mon peintre, les cheveux lui en dressèrent sur la tête, tels ceux de Hamlet à l’apparition de l’ombre de son père ; sans doute qu'intérieurement il disait comme lui : « Angels ! and ministers of grace defend us » – Haml. Act. 1. Sc. 3

Déjà je voyais l’instant où une décharge meurtrière allait briser le clavecin spirituel de mon âme et terminer d’une façon aussi brusque que tragique mon voyage pittoresque en ce bas monde. La perspective de ce tableau, qui n’entrait pas dans mes intentions, était d’un sublime effrayant ; les contours durs, le coloris sombre, rendaient la composition digne du Breugel d'enfer. Le danger était pressant : une prompte levée en masse de mon courage pouvait seule prévenir l’exécution de l’arrêt : « To be, or not to be, that was the question ! » – Haml. Act. 3, Sc. 2

Je pris subitement mon parti et marchai droit à l’ennemi, sans consulter la disproportion du nombre et, d’un ton aussi fier que si j’eusse été un député du Roi de Castille et d’Aragon, je demandai d’un air courroucé : « Was segget er, ihr grobbe Flegels? » (Que dites-vous là, grossiers manants ?)

Frappés de la pureté de mon dialecte Bernois, les braves descendants des vainqueurs de Morat baissèrent les armes et me dirent d’un ton radouci : « So ! Sitt er’ ä Schweitzer ? (Ah ! vous êtes suisse ? – Ja ! und von Bern ! » (Oui ! et de Berne !) Cette réponse prononcée de ma part avec ce ton de supériorité aristocratique que l’on reproche à mes chers compatriotes apaisa le courroux des paysans à peu près comme le Quos ego! de Neptune calma jadis la fureur des vents déchaînés contre Énée.

Vous voyez, mon cher ami, qu’il est bon quelquefois d’avoir une patrie... « Quamvis perfida, cara tamen ! » – Tibulle

[...]

En se glissant par-dessous le moulin du Pitchoux, on gagne l'entrée de l'entonnoir, qu'il faut absolument franchir, pour éviter un détour de plusieurs lieues, avant de parvenir à Undervelier. L'abord de ce gouffre est effrayant !


Au premier aspect de ces lieux,

Pénétré d'une horreur secrète...

Mon coeur subitement flétri

Dans une surprise muette

Resta longtemps enseveli.


Serait-ce Merlin l'Enchanteur qui d'un coup de sa baguette aurait ouvert cette crevasse, pour servir d'avenir à sa grotte magique ? Ou Roland le Furieux qui d'un revers de sa fameuse épée Durandal aurait pourfendu ces rochers ; comme il a séparé en deux les Pyrénées, pour entrer en Espagne par la porte qui porte encore son nom ? Sérieusement parlant, il paraît que ce sont les eaux de la Sorne, précédées peut-être de quelque antique courant diluvien, qui ont perforé ces flancs du Mouron, où nous allons nous engager.

 

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« Nous avions loué une maison à Undervelier et nous allions de ferme en ferme. Nous écoutions des histoires de sorcellerie, de maisons hantées, de vaches dont les cordes se détachaient. En marchant, il m’expliquait la perspective atmosphérique. »

Jacques Hainard l'ethnologue, à propos de sa jeunesse au Pichoux en compagnie de Rémy Zaugg. Ensemble, ils ont cherché «le secret», celui des guérisseurs et autres coupeurs de feu dont le Jura est si riche.
Les 23 gouffres d'Undervelier